Le petit tailleur qui porte chance

- Si demain, j’irai, je te le promets.

- Tu dis toujours cela, et tu ne le fais jamais !

- Allez, mon cœur, sois gentille, laisse-moi une chance de me faire pardonner ?

Brigitte est furieuse, cela fait trois jours qu’elle demande à Mike d’aller chercher le petit tailleur gris à la blanchisserie. Ce petit tailleur qui met en valeur les courbes exceptionnelles de ses hanches et qui cache son petit ventre.

- Vendredi, j’ai ma réunion et tu sais bien que j’en ai absolument besoin !

- M’enfin chérie, tu as plein de petites robes qui te vont à merveille. Pourquoi as-tu besoin de ce tailleur ?

- Parce que.

- Ce n’est pas une réponse.

- C’est mon tailleur fétiche, tu comprends ? Avec lui, je me sens plus forte et plus à l’aise. Et puis cela me donne un air sérieux.

Mike se gratte le menton. Il ne voit pas pourquoi un tailleur peut donner de l’assurance à sa femme, mais la réunion des délégués a lieu après demain et son épouse doit avoir l’aval de son patron pour que son projet soit accepté. Ce projet est capital pour la carrière de Brigitte et ça, Mike le comprend bien.

- OK mon cœur, demain, sans faute, j’irai te le chercher.

- J’espère bien, c’est toi qui as insisté pour le déposer près de ton bureau. J’aurais pu très bien le déposer moi-même à ma blanchisserie habituelle.

- Si j’aurais su, j’aurais pas venu, chuchote-t-il.

- S’il te plait ?

- Non, rien, t’inquiète pas, sans faute demain, promis.

Le réveil vient de sonner, Mike se lève rapidement après avoir embrassé Brigitte qui traine au lit. Il prend son petit déjeuner habituel, un café noir et trois biscottes à la confiture de fraise. C’est sa mère qui la fait et à chaque fois qu’il regarde le pot, il ne peut s’empêcher de penser à elle et de la remercier secrètement. Il se rend dans la salle de bain, se rase, brosse ses cheveux blonds, un coup de déo, une chemise rayée bleue et son costume noir. Mike est fin prêt.

- Bonne journée mon cœur, crie-t-il lorsqu’il est face à la porte d’entrée.

- N’oublie pas d’aller chercher mon tailleur, lui crie Brigitte qui est toujours au lit.

- Non, t’inquiète, crie-t-il tout haut, et dit tout bas : je ne risque pas d’oublier.

Arrivé au bureau, le collègue de Mike, Dirk, un petit bonhomme gras et qui porte toujours la même chemise le salue.

- Salut Mike, tu vas bien ?

- Oui, et toi ?

Dirk pose toujours la question à tout le monde, mais n’attend jamais de réponse. D’ailleurs, il se fout totalement de ses collègues. Une chose compte pour lui, c’est être bien avec Monsieur Picret, le directeur général. Un vrai frotte-manche qui n’arrête pas de retourner sa veste au moindre coup de vent. Pas besoin d’ouvrir une fenêtre avec lui, il est toujours d’accord avec le patron même si derrière le dos de celui-ci, il ne s’empêche pas de le critiquer régulièrement.

- J’ai vu Monsieur Picret, il m’a demandé de te rappeler que tu vois Monsieur Kazzamoto cet après-midi. Il aimerait que tu lui fasses un compte rendu dès que tu as fini ton rendez-vous.

- Merci Dirk, je n’y manquerai pas.

- Il est vraiment chiant le patron, tu ne trouves pas ?

Mike se méfie. Ce n’est pas la première fois qu’il se fait alpaguer par le patron après avoir médit sur lui et comme par hasard, c’est toujours lorsqu’il le fait avec Dirk.

- Ben, c’est un patron Dirk. Allez, je te laisse, bonne journée.

Dirk a manqué sa cible, et fille tout droit vers une autre victime sans même lui avoir répondu. Mike sourit en pensant que cette fois-ci, il ne s’est plus laissé avoir.

Il est midi lorsque le téléphone de Mike sonne. C’est Brigitte. Elle veut sans doute s’assurer que Mike ira bien chercher son petit tailleur gris.

- Oui, mon cœur

- Allo, Mike ?

- Ben qui tu veux que ce soit, dit-il en riant.

- Tu as été chercher mon tailleur ?

- Non, je vais maintenant, c’est ouvert entre l’heure du midi. Cet après-midi j’ai rendez-vous avec Monsieur Kazzamoto, tu sais le Japonais qui veut nous acheter notre surplus d’acier. C’est une belle opportunité pour la société. Donc, je ne serai pas joignable cet après-midi.

- OK mon cœur, tu fais bien de me prévenir. Bon appétit. Prends tout de même le temps de manger un petit peu. Je sais que ce genre de rendez-vous te coupe l’estomac.

- Merci ma douce, j’essaierai.

Il est midi quart lorsque Mike arrive devant la blanchisserie. En s’approchant de la porte, il trouve l’aspect du magasin inhabituel. Son cœur commence à battre rapidement lorsqu’il n’aperçoit aucune lumière dans le magasin. Une feuille A4 est collée sur la porte.

« Fermeture exceptionnelle ce jeudi pour cause de décès »

La sueur commence à perler de son front, ses mains sont devenues moites et un malaise étrange envahit tout son corps.

- Merde, merde, qu’est ce que je vais dire à Brigitte. Je ne peux pas, elle va m’en vouloir au moins …. toute sa vie. Une solution, une solution.

Mike est hagard, il reste planté là devant ce magasin totalement désert cinq bonnes minutes. Sans doute les plus horribles cinq minutes qu’il passe de sa vie. Il doit trouver une solution. Son visage s’éclaire soudain. Il connait le magasin où Brigitte a acheté ce tailleur, il connait la taille de sa femme. Et si… et si le magasin vendait encore ce tailleur ? Un tailleur, c’est intemporel. Cela ne subit aucune mode. Il essaye de se persuader que c’est possible. C’est la chance pour lui d’éviter les foudres de Brigitte. Si le patron de Brigitte refusait son projet, il serait tenu personnellement responsable de cet échec. Il n’a pas le choix.

Mike, regarde sa montre, un quart d’heure pour se rendre au magasin, cinq minutes pour trouver le tailleur et dix minutes pour être à son rendez-vous, soit une vingtaine de minutes de retard sur le planning initial. Il prend sa voiture et se dirige à toute allure vers le magasin « Au petit tailleur ». Mike est toujours sous le coup de l’émotion. Il prend son courage à deux mains et appelle son client.

- Allo, Kazzamoto répond le japonais.

- Monsieur Kazzamoto, comment allez-vous ? Mike Derrider, nous avons rendez-vous dans dix minutes.

- Je sais, je vous attends et je vous préviens, je suis pressé. Je n’ai qu’un quart d’heure à vous consacrer.

Un gloups se fait sentir dans la gorge de Mike.

- Ben, justement, Monsieur Kazzamoto, je suis désolé, mais je vais avoir un peu de retard.

- Comment ? Vous savez que dans la culture japonaise, un retard équivaut à une offense ?

- Je sais Monsieur Kazzamoto, mais là, j’ai une urgence.

- Comment, une urgence ! Et quelle sorte d’urgence ?

Je ne vais pas lui dire que je dois faire une boutique pour acheter un tailleur à ma femme, pense Mike, un peu dépourvu par l’attitude de son interlocuteur.

- Euh, eh ben, euh

Quelques secondes de trop pour Kazzamoto qui raccroche son téléphone.

Mike arrive devant le magasin « Au petit tailleur ».

- Qui porte chance, mais pas pour tout le monde, dit-il en ironisant.

Mais la chance est de son côté, car dès son entrée dans le magasin, il aperçoit un tailleur identique à celui de Brigitte. Il file droit dessus et recherche fébrilement (frénétiquement) la taille des tailleurs alignés.

- Un 36, sauvé.

En trois minutes quatre dixième, Mike paye le tailleur et s’engouffre dans sa voiture, direction Monsieur Kazzamoto. Douze minutes après, il se retrouve haletant devant la secrétaire de la société Asia Acier Cie.

- J’ai rendez-vous avec Monsieur Kazzamoto.

- Vous êtes Monsieul Dellidel, lui dit la Japonaise.

- Oui, Derrrriderrr.

- Monsieur Kazzamoto est malheureusement déjà parti. Il avait un autle rendez-vous.

Mike est dépité, il est toujours essoufflé et se rend compte du désastre. Il vient de faire perdre des millions à sa société.

- Tout cela à cause d’un fichu tailleur, bougonne-t-il.

- Paldon Monsieur.

- C’est rien, vous ne pourriez pas comprendre, dit Mike en retournant tout doucement à sa voiture qu’il a garée sur le trottoir et qu’un flic est en train de verbaliser.

- Il ne manquait plus que cela, souffle-t-il.

Comment va-t-il expliquer cela à son patron ? Mike laisse plusieurs messages à Monsieur Kazzamoto pour s’excuser, mais son ex-client ne décroche plus. Il n’a plus qu’une chose à faire : éteindre son portable et rentrer chez lui en espérant avoir des nouvelles de Monsieur Kazzamoto le lendemain. Il pourra peut-être arranger l’histoire avant d’avoir son patron en ligne ? Une chose positive, il a le petit tailleur qui porte chance !

Sept heures, Brigitte rentre à la maison. Le salon est bien sombre et Mike rumine dans le noir.

- Coucou mon cœur, tu as passé une bonne journée ?

- Ouais, super génial, dit Mike d’un ton très lent et très ironique

- Au fait, je n’ai pas voulu te déranger, mais juste après notre conversation, mon patron m’a appelé.

- Ah oui, et ? dit Mike totalement désintéressé et absent de la conversation.

- Ben, figure-toi que ma réunion a été reportée à vendredi prochain !

Auteur : Diego Rica

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