Les tribulations d’Hélène

 

Le réveil vient de sonner. Hélène s’extirpe péniblement de son lit. Un mètre cinquante-huit de nudité se dirige vers la salle de bain. Elle n’avouera jamais qu’elle n’a qu’un mètre cinquante-huit. Elle dit : « j’ai un mètre soixante ». Pour elle, ses deux centimètres font la différence. Michel Sardou a bien des talonnettes ! Pourquoi n’aurait-elle pas aussi un petit truc pour se sentir plus grande : deux centimètres de plus pour elle, c’est son petit truc. Elle monte les escaliers et se retrouve devant le miroir.

Elle scrute les imperfections qui pourraient apparaître sur son visage.

- Un bouton sur le nez, crie-t-elle.

À la vue de cette horreur, elle a reculé et l’ombre sur le nez a disparu. Rassurée, mais toujours inquiète, elle se rapproche du miroir et continue son inspection :

- Ouf, pas de nouvelles rides aujourd’hui.

Ce soir est un grand jour. Elle doit rencontrer l’homme de sa vie. Enfin, elle pense qu’il pourrait bien être celui qu’elle cherche. Grand, un mètre quatre-vingts, 80 kilos, est-ce qu’il va lui plaire ? Elle ne l’a jamais vu qu’en photo, mais les échanges qu’ils ont eus par mail et par téléphone lui font chaud au cœur. D’ailleurs, il l’appelle déjà « mon cœur », C’est bon signe, pense-t-elle.

Premier rendez-vous. Le test quoi. Elle doit être rayonnante et elle va s’appliquer pour y parvenir, se dit-elle en se maquillant.

- Mais que vais-je faire de ces cheveux frisottants ?

Hier, elle s’est rendue dans le quartier africain de la capitale. C’est bien simple, il n’y a aucun blanc dans la rue. Les magasins arborent des produits inconnus de la plupart des Européens. On se croirait en Afrique avec le soleil en moins. Elle distingue un magasin attenant à un salon de coiffure. Peut-être pourra-t-elle trouver le produit miracle ? Celui qui lui rendra des cheveux lisses et fins.

- Ah, le rayon des shampoings !

Elle rapproche son nez d’un flacon : «Des cheveux fins et lisses comme les blanches»; drôle de publicité lorsqu’elle se rend compte que le magasin est bondé de noirs. Pas un blanc à l’horizon. Les noirs la regardent. Que peut donc bien faire une petite femme blanche dans un rayon spécialement achalandé pour les noirs ? pensent-ils.

Hélène s’en fout ; elle affronterait bien une horde de caribous en rut si l'on pouvait lui promettre des cheveux lisses !

Elle achète le produit, le paye et retourne aussitôt à sa voiture, une petite Peugeot 206 cabossée qu’elle a acheté une miette de pain. Elle n’est pas du genre à rouler dans une Mini, voiture typique de bombasse écervelée. Rien que l’idée lui fait hérisser les cheveux sur la tête. «Non, pas ça, pas mes cheveux !» et elle s’efforce de penser à autre chose.

Elle prend le flacon et asperge copieusement sa tignasse de féline. Le produit sent le pétrole. Elle a un doute, elle inspecte le flacon. :

- Oui, c’est bien un produit lissant les cheveux.

Elle reprend la manœuvre et s’applique à créer une marée noire dans ses cheveux. Heureusement pas d’oiseau ou de poisson, rien que des boucles qu’elle ne peut plus voir.

- Si ça fonctionne pour les noirs, cela doit forcément fonctionner pour les blanches, murmure-t-elle pour se rassurer.

La moitié du flacon a disparu sur sa tête. Il n’y a plus qu’à rincer. L’eau s’écoule de longues minutes sur le pétrole. Elle augmente la chaleur ; une odeur de cochon brûlé lui indique qu’elle a intérêt à diminuer la température si elle ne veut pas se retrouver avec un méchoui sur la tête.

- Merde, merde, et merde, quel produit de merde !

C’est trop tard, elle tamponne ses cheveux avec une serviette qui se change comme par magie en encrier. Elle se regarde dans le miroir. Ses cheveux sont figés comme la houppette de Tintin. On a l’impression qu’elle vient d’avaler un éclair ; pas celui au chocolat, l’autre ! Elle est horrifiée, elle crie, frappe, tambourine, et finalement se met à pleurer.

Pas moyen de rencontrer l’homme de sa vie ce soir, il faut qu’elle trouve une solution. Sa coiffeuse. Elle aurait dû se rendre chez sa coiffeuse, peste-t-elle.

Elle a emballé ses cheveux hirsutes d’une serviette rose et elle s’engouffre dans sa voiture. Elle espère que personne ne la remarquera. Elle se parque non loin du «Salon Bénédicte», et se dirige rapidement à pied en longeant les murs et les yeux rivés sur le sol.

-Tiens, dit un petit garçon à sa maman, c’est qui la dame avec une barbe à papa sur la tête ?

Hélène rougit et rentre dans le salon de coiffure.

- Eh bien, qu’est-ce qui se passe Hélène, c’est le Carnaval ?

Hélène se met à sangloter et découvre l’affreuse pièce montée qu’elle a sur le crâne.

- Mais qu’est-ce que tu as fait ma pauv vieille ?

- Une grosse connerie, répond Hélène

Non seulement ses cheveux sont hirsutes, mais ils cassent comme du verre lorsque Bénédicte essaie de les brosser. Plusieurs shampoings, après-shampoings, et autres produits de toutes sortes, Hélène en est déjà à 80 euros de produits et deux heures d’acharnement !

- Désolée Hélène, mais là, je m’avoue vaincue. Désolée.

- Trouve-moi une solution Bénédicte, qu’importe le prix, supplie Hélène. Comment veux-tu que je rencontre mon amoureux ce soir ?

- Je n’en vois qu’une, te raser !

- Quoi ? Me raser ! T’es folle !

- Tu sais, j’ai des perruques vraiment quali. Il ne verra pas la différence ton amoureux. Et puis, tu peux lui expliquer.

- Tu me vois déjà ! Désolé, j’ai pas de cheveux, mais t’inquiètes pas d’ici quelques mois ils auront repoussés.

- Ce n’est pas moi qui ai fait n’importe quoi, s’énerve Bénédicte. Désolée, je suis tellement ennuyée pour toi que je m’énerve.

- Ok, va pour la tête de Britney Spears dans ses mauvais jours, soupire Hélène résignée.

La tondeuse s’est mise en route. Hélène ferme les yeux. Bénédicte peine, car le pétrole a envahi le crâne d’Hélène. L’autoroute n’est pas aussi bien asphaltée, pense Bénédicte qui s’efforce de rendre à Hélène une allure humaine.

- Ça y est, tu peux ouvrir les yeux.

- Horrriiiiiiiibbbblllllleeeeee, crie Hélène.

D’autres clientes ont sursauté et frissonnent d’horreur en regardant la tête de cette pauvre Hélène. Bénédicte glisse la perruque et l’ajuste.

- Et comme ça ? Elle est belle, hein ? On dirait tes cheveux, tu ne trouves pas ?

Le portable d’Hélène sonne et elle remarque que c’est son amoureux. Que va-t-elle lui dire ? Elle décroche.

- Coucou, dit-elle faiblement.

- Coucou mon cœur. Oh désolé, je te réveille.

- Eh bien pas moi, soupire Hélène soulagée. Au fait, tu aimes les cheveux bouclés ?

 

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